"Mommy" de Xavier Dolan

Film « Mommy » de Xavier Dolan. (à l’Alhambra de Calais, actuellement)
Québec 2014 – Prix du Jury au Festival de Cannes.
Dans ce film magnifique, les non-dits en disent pourtant long sur l’amour maternel et filial de Diane (Mommy) et de Steve, ce fils incontrôlable parce que souffrant de troubles psychotiques, qu’aucun Collège ne veut garder pour des raisons de sécurité.
Il ne reste donc à Mommy aucun autre choix que de l’emmener à la maison et d’adapter sa vie à celle de ce fils impossible, capable du meilleur comme du pire. Avec l’aide de sa voisine (Kyla), elle-même, en rupture familiale et professionnelle et souffrant de mutisme, la vie se passe tant bien que mal.
Les dialogues ne sont pas l’essentiel -même si le pur accent québécois des protagonistes ajoute du sens à leurs paroles- mais c’est plutôt l’émotion qui nous transperce, une émotion remarquablement transmise par les acteurs dans leur tentative de survie à tout prix. Chacun essaie de s’en sortir, et on assiste, en les partageant émotionnellement, aux efforts de Diane qui cherche désespérément un travail compatible et un semblant de vie normale, aux efforts de Steve qui promet de se maîtriser et qui s’accroche de tout son être à sa mère qu’il aime par-dessus tout, aux efforts de Kyla, qui accepte de rendre service à sa voisine et d’aider Steve dans ses études, et en même temps peut-être retrouver la parole en se rendant utile. (Que porte-t-elle en elle, qu’elle ne veut pas dévoiler ? quelques bribes nous renseignent : une photo d’un petit garçon, un déménagement, un mari peu bavard, une petite fille…
Des hauts et des bas pour chacun, mais les victoires sont souvent des déguisements, des leurres, et les échecs sont plus souvent au rendez-vous.
C’est là que Mommy va courageusement prendre la décision la plus cruelle, et le spectateur s’interroge.

J’ai vraiment aimé ce film bouleversant, et ça me donne envie de voir les autres films de Xavier Dolan. Antoine Olivier-Pilon est époustouflant dans le rôle de Steve . Par contre j’ai vraiment été gênée au début par l’écran petit et carré et j’ai trouvé exagéré le langage plutôt ordurier entre la mère et le fils.

Bonjour Sirandane,

Je suis ravie de partager sur ce film magnifique :

Pour ce qui est du langage ordurier entre Mommy et Steve, je pense qu'il renforce l'émotivité du personnage. Malgré ce comportement vulgaire, cette mère n'en est pas moins une vraie mère avec de vrais sentiments maternels. On mesure à la fin du film son courage, sa force de caractère, et on s'interroge.

Je l'ai vu hier Guilaine et Sirandane.
Énorme ce film qui saisit le mouvement des personnages avec une caméra tellement alerte, qui suit la mère avec tension ou sensualité, qui filme tellement bien ces visages grimaçants et vrais.
Quant au langage ordurier, oui, comme l'humble réalité. Film de l'humble réalité, sans complaisance notamment à l'égard de la mère. Film d'un certain abandon et d'une certaine démission qui sont ceux de l'humble réalité de la condition humaine. A contrario d'un certain discours sur la mère qui ne cherche à représenter qu'un dévouement inconditionnel voire un sacrifice personnel qui lui seraient intrinsèques, ce film a le courage de représenter la démission, la renonciation, aussi bien dans sa douleur que dans ses raisons les plus justes: une mère qui peut ne pas répondre à l’appel du fils enfermé parce que mise au travail et jetée dans la bataille.
Violence et cruauté, qui entourent pour la défaire, une issue trop belle pour être vraie. Le rêve n'était pas vrai, et ça ne condamne personne ou alors distribue très bien les parts de condamnation, mais sans réussir en aucun cas à abattre ni l'amour ni l'espoir.

Oui, Chuflay, c'est vrai que le film met souvent l'accent sur l'abandon de la mère, sur sa démission, face à son désespoir : son rêve de voir évoluer Steve de façon normale n'était qu'un rêve. L'humble réalité de la vie est ici bien représentée mais je continue d'admirer le courage de sa décision finale : elle devait faire un choix entre sa survie à elle et une vie impossible auprès de son fils. 
Arrivera-t-elle à l'oublier comme le fait comprendre ce téléphone portable laissé dans l'autre pièce ?
Je continue de m'interroger.

Oui, Guilaine, je suis d’accord avec toi. D’ailleurs j’aime beaucoup ce que tu as vu dans la scène ou la mère ne prend pas l’appel du fils, comme une métaphore d’un oubli, de la possibilité de tourner la page. Il est légitime de s’interroger sur la suite, mais heureusement que Xavier Dolan n’a pas présenté cette suite, ce qui fait de lui un grand réalisateur. Faire de cette démission un succès ou un échec serait un jugement de valeur, et ce film est grand pour se passer des réponses (attendues ardemment pour les moralisateurs et moralisatrices pour se scandaliser ou se rassurer). C’est qui est important c’est le geste, un geste courageux, que j’admire évidemment comme toi, mais qui est intéressant surtout parce qu’ambigu et présenté sans complaisance : car il y a aussi de la lâcheté dans la ruse et le mensonge dont se sert la mère pour enfermer son fils, qui en plus est brutalisé dans l’enfermement. Alors, courage mais lâcheté, puis dérapage, puis douleur. Mais est-ce qu’une telle décision pouvait aller sans cruauté et sans douleur ? seulement dans les mauvais films. C’est le geste l’important, comme celui de la fin, évasion réussie ou défenestration, la vie ou la mort, on ne saura pas. C’est le geste, seul, nu, montré dans sa cruauté et sa grandeur.

Bonjour Chuflay,

Décidément ce film nous fait réfléchir... J'aime ce genre de film qui laisse des traces.
Merci de m'apporter ce côté ambigu de la décision : courage vs lâcheté. Je n'avais pas pensé à cela.
Le réalisateur nous laisse le choix ou le questionnement.
Comme tu dis, c'est là la grandeur du film.

Gracias a ti por haber abierto el debate.
Chau y ¡a la salud de Xavier!

Il est déjà ancien ce film, cependant, j'en ai gardé un souvenir, un souvenir un peu trouble, mais un souvenir quand même.

J'y ai vu pour ma part, le constat d'une violence dans le rapport mère-fils quand le tiers, c'est-à-dire le père qui vient normalement faire césure dans le lien fusionnel de la mère et de l'enfant est absent.

Comme il est absent c'est une relation fusionnelle qui unit mère et fils ( dans ses excès, (collé ou séparé radicalement) qui conduit inexorablement à la violence car l'espace relationnel n'est pas crée, c'est collé, c'est un inceste psychologique en quelque sorte, d'où l'extrême violence car ni la mère, ni le fils ne sont respectés, il n'y a pas de relation.

Or, la violence ne tombe pas du ciel, elle est là cette violence, parce que les bases relationnelles structurantes ont été négligées et c'est cela que nous montre ce film à mon sens, la nécessité absolue de construire un espace relationnel sain grâce à la loi structurante de l'autorité paternelle.

Voilà ce que j'y ai vu mais je vais essayer de revoir le film pour affiner. Merci en tout cas d'offrir cet espace de discussion.

Merci beaucoup Catherine pour ce commentaire à propos de la relation mère fils et du rôle du père qui sépare la mère de l'enfant. Je n'ai pas vu ce film mais je comprends qu'il t'ait marquée. j'ai toujours aimé dire que ce n''est pas tellement le père qui sépare la mère de l'enfant mais c'est l'amour que le père porte à la mère. C'est une petite nuance que j'ai toujours souhaité préciser. Mais il est certain que cet inceste psychologique ne peut aboutir qu'à la violence.

Oui, Muriel, c'est l'amour du père en effet et l'amour du père c'est la loi d'amour qui vient séparer ce qui risque de rester collé.

Cette loi qui différencie et parce qu'elle différencie permet de respirer dans un espace.

L'amour, c'est un peu comme le yin et le yang, il faut les deux pour composer un tout harmonieux à mon sens!

catherine a écrit:c'est la loi d'amour qui vient séparer ce qui risque de rester collé.

C'est vrai : Le bébé qui se sépare de sa mère, les enfants qui quittent le foyer pour construire leur vie etc.